vos histoires de marde

Tes bottines me font pas

Voici un texte que j’ai reçu récemment  pour “Vos histoires de marde” et qui m’a beaucoup touchée mais aussi rejoint.

Il n’y a pas si longtemps, c’était moi cette fille…

Bonne lecture !

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 Toi. T’sais. Toi. J’t’ai vu la première fois, pis c’tait con, j’sentais qu’y se passait quelque chose d’important. C’était tellement présent, tellement évident… J’ai passé les trois-quarts de la soirée à me dire fuck, tout le monde doit s’en apercevoir. Le genre de truc qui arrive pas souvent dans une vie. En fait, je parle pour moi. C’tait simple pis fluide. C’tait intense. Comme un passage de film au ralenti où se joue une action vraiment signifiante pour les deux protagonistes à l’écran.

T’étais drôle. Très. T’avais de la répartie, un esprit vif. Ça m’a frappée. D’habitude, les gens m’ennuient. C’est de même. La plupart des gens dorment au gaz.

Toi, comme moi, tu carbures au naphta.

Tu me regardais dans les yeux. Ça a fait fondre le banc de neige que j’avais dans l’cœur. Y avait plus d’igloo pour m’abriter, moi pis mes huit ensembles de ski superposés… Dix-huit mois plus tôt, un ami m’avait signifié qu’il n’avait pas de papillons pour moi. Qu’il n’était pas amoureux. Je l’aimais, même sans jamais le lui avoir dit. J’comprends d’ailleurs toujours rien à cette fichue histoire de papillons. Dans ma tête, ce sont des insectes qu’on peut observer au Biodôme ou à Papillons en fête aux Jardins Hamel. C’est tout.

Depuis un an et demi, je refusais toutes les sorties. C’t’ait juste avant de te croiser. Délibérément, je m’étais cloîtrée dans un désert affectif vaste. Pas d’oasis, pas d’horizon. Le jour, je crevais de soif. La nuit, je la passais à geler dans mon lit. Mais, au moins, je l’avais choisi. Y avait pas d’autre responsable de la situation que moi. Le Bonhomme Carnaval n’avait rien à voir là-dedans.

Toi, t’étais là pis tu me regardais. Tu me taquinais non-stop. Ça mettait de la vie dans la soirée, qui aurait pris des airs d’amicale d’un club Lions, sinon… Y avait comme un facteur inévitable dans le fait de t’avoir vu ce soir-là. Comme un accident d’auto, une panne de courant, une inondation, un Act of God auquel tu ne peux échapper. C’était dans ma ligne du temps de le vivre. Voilà.
Ça s’est passé un peu tout croche. Une histoire avortée. Un contexte bancal, de rupture récente inachevée. Trop d’alcool, d’hormones. Surtout, pas assez de sommeil. Pour toi en fait, me diras-tu plus tard. Un hit and run initial. Une campagne de sensibilisation routière par la suite. Déjà moins pire que tout ce que j’ai connu en fait de relations intimes.

Un avertissement flashait au néon dans ma tête. T’étais pas l’bon gars pour moi. J’allais me faire mal. T’avais trop de bagage, trop de déceptions cumulées… T’étais trop « tout » pour moi. Pas branché sur le même voltage. Y aurait fallu un appareil pour moduler ton intensité. Pis moi, j’m’ennuyais dans ma vie. Plate comme un espace de stationnement pour jeunes familles au Costco. Ces signaux, j’les ai pas écoutés. J’m’en suis foutue. J’étais attirée. Beaucoup. Trop. Un papillon de nuit qui va forcément finir cramé sur une lampe de patio, par un été trop chaud. Il sait pas ce qu’il fait vraiment, le papillon. Le luminaire devient son repère nocturne. Il croit voir la lune. Il adhère à un mirage, s’étourdit. Déjà, c’est trop tard.
Désorienté, le lépidoptère décrit des ellipses autour du halo de lumière. Dans sa danse macabre, il ne réalise pas qu’il sera brûlé vif. Mort accidentelle. Incinération prématurée. Guidé par une pulsion de vie ou de reproduction, il veut ne faire qu’un avec cette lune inaccessible. Si possible s’y fusionner à vie. Il le fait. L’inconvénient, c’est que ça le tue. Ça n’aura pris que le temps de switcher l’interrupteur à off.

J’sais pas trop quels sont les critères absolus d’un mauvais plan.

 

La journée où j’ai décidé d’aller vers les gens avec qui j’étais vraiment bien, avec qui j’tais toujours moi-même, mes autres résolutions ont disparu. Comme des fantômes qui voient leur ombre. C’est pas rien. Les fantômes n’ont même pas d’ombre… Faque le fantôme, des fois, je me fais rire en me disant que c’est moi. Parce que je suis revenue vers toi malgré toutes les mises en garde que tu m’as servies par la suite. Elles ont dû fonctionner comme élément dissuasif pour celles qui ont voulu jouer au papillon de nuit en t’approchant de trop près. C’est le propre des fantômes. On en a peur, mais ils reviennent toujours. Sont têtus. Ou sont de retour parce qu’ils ont un message à livrer. Ils veulent tellement le bien d’autrui qu’ils s’oublient. Convaincus de pouvoir apporter aux vivants quelque chose de positif.

J’sais pas vraiment ce que ça peut être, le message d’un spectre. En ta présence, je me sens vraiment vivante. Habitée du meilleur de ce que j’ai à donner. Pas muette ni transparente, pas dans l’errance, pas à la recherche de quelque chose. J’sens que j’peux retrouver mon statut de triangle scalène dans une forêt d’équilatéraux sans me sentir à part. Me retrouver juste là, dans tes bras, dans un état d’esprit agréable, zen, harmonieux. J’sens pas le besoin de te convaincre que je suis quelqu’un de grande valeur non plus. On n’est pas au pawn shop des relations affectives. T’es déjà au courant de ce que je suis. J’feele pas non plus « quête du moyen de te convaincre de marcher dans les mêmes pas que moi ». J’sais ben que tes bottines me font pas. C’est parfait comme ça. Moi, j’mets jamais des bas d’la même couleur, anyway…;-)

 

Geneviève Riel-Roberge

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OUI, JE SUIS CUIREUX(SE) ET JE VEUX VOIR TOUTES LES HISTOIRES PUBLIÉES

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