Véronique Pascal

Les belles histoires des pays du hook up

Ce texte est celui d’une collaboratrice  occasionnelle,  Véronique Pascal

 

Tu entres dans le bar, il est là. Hook up culture oblige (les règles éthiques sont bien établies dans le monde de la swipe) … il te donne deux becs comme à une vieille amie. Sa barbe fraîchement cut te pique la joue. Vous essayez d’avoir l’air normaux, mais ça crie de partout que vous vous connaissez fuck all.

Analyse rapide : il a l’air plus straight que sur ses photos de fiche. Cheveux bien placés, tout de noir vêtu. Toi, tu as mis un immense pull orange, une sacoche jaune et un manteau bleu pour aller à ta date. Tu portes une tuque pour écraser tes cheveux croches. T’habite à 3 secondes à pied du bar mais t’es arrivée en retard. Imparfaite to the bone.

Subitement, la chienne te pogne. Selon les informations que tu possèdes, il travaille et il aime le sport. Côliss que c’est peu … tu dis que ça fait peut-être trop longtemps que t’es plus dans la game. Ouff. Gorgée de bière.

Tu remarques qu’il a l’air un peu nerveux lui aussi. Vous parlez, surtout lui. Il est sensible, intelligent. Il raconte un peu son passé. Il parle de ce qui le tracasse … de son manque de vision de son avenir.

Sensation de déjà vu. Ces confidences de garçons talentueux, mais perdus. Leur constat de ne pas être sur leur x, d’errer. Tu le sens tanguer entre son besoin de se trouver et sa tentation de fuir, aussi, les aspects les plus contraignants de sa vie. Tu ressens sa solitude et sa pulsion de remplir le vide. Tu te dis que ce qu’il te dit là … il ne doit pas en parler souvent … peut-être même n’en parle t-il jamais.

Il y a des shots dans cette soirée-là. Tu ne tolères pas bien l’alcool, tu évites le pire en buvant plein d’eau. Tu remarques qu’il regarde parfois tes seins ou tes jambes, rien de trop déplacé.

Et puis, à un moment donné … il t’embrasse comme un assoiffé qui n’a pas bu d’eau depuis mille ans. Ça dure un bon bout. Maudit que ça fait du bien. Il met un baume temporaire sur tes inquiétudes à toi.

‘Une chance qu’il reste du monde ici, sinon, je te dis pas ce que je te ferais’.

‘T’es beau.’

‘Toé, t’es belle !’

Vous sortez du petit bar tranquillement. Vous marchez en vous tenant la main, jusque chez toi.

Il dort dans ton lit. Évidemment, au réveil, tu ressens la petite gêne du … ‘eille finalement, je sais pas grand chose de toué, dude’.

Tu le regardes dormir … Et soudainement, ça te saute aux yeux : même les personnes que tu as fréquenté longuement … que savais-tu d’elles, au final ? La vie t’aura appris qu’il faut renoncer à penser les connaître … car elles disent bien ce qu’elles veulent bien dire. Et mentent même. Parfois.

Curieusement, tu as l’impression d’avoir été plus vraie avec ce parfait inconnu, qu’avec bien des hommes avec qui tu as passé des mois, des années. Et réciproquement. Tu ne détestes pas ces fins de soirée, où un homme, par soif d’intimité, finit par laisser tomber sa garde. Et se montrer vulnérable. Juste un peu.

Au matin, vous vous quittez vite. ‘Salut c’était ben le fun …’ ‘on se donne des news’ … ouin ouin. Hook up culture oblige, promesse = faiblesse.

Bec genre malhabile sur la bouche-joue, cet espace étrange où on ne pose ses lèvres que lorsqu’on est face à une personne avec qui la game est pas claire.

Petits textos de mercis dans la journée, genre c’était plaisant-partagé.

Émoticons. Petits velours.

Cette histoire n’a rien de particulièrement glamour.

Il y a quelque chose de déshumanisant, évidemment, dans la hook up culture. On en oublie le simple respect parfois, de l’autre et de soi. Sous prétexte d’être tellement libérés, on accepte tout et n’importe quoi, sans poser de limites. On ne nomme rien, on essaie d’avoir le moins d’aspérités possibles. Afin de plaire.

Pourtant, la vraie vie est sale. On oublie des poils en s’épilant, on lâche un pet, on saigne, on pleure. Et c’est ce qui est beau. Nous ne sommes pas une série de poupées Barbie et Ken dans un Toys’r’us. Ça se joue des deux bords, l’objectivation, dans ce monde où tu as des services de commande en ligne pour le ‘dating’.

Et faire l’amour avec une personne, que ce soit une ou dix mille fois, sera toujours … un acte de partage de l’intime.

Quelque chose te fatigue. Une force te dicte d’arrêter d’obéir aux règles. Pas obligés d’être face à ‘L’HOMME DE SA VIE’ pour honorer l’autre.

Et si tu veux que l’on cesse de te voir simplement pour ton enveloppe, en tant que fille, tu te dois d’honorer l’autre pour ce qu’il est. Une personne à part entière. Pas juste une graine.

….

Alors tu lui écris, après 48 hrs … Tu bypass la loi non-écrite, quitte à avoir l’air d’une folle.

‘Salut, bon, c’est vraiment étrange ce que je fais là, mais je vais te dire : je pense que t’es intelligent pis sensible, pis j’ai envie de te considérer comme un humain avant tout.

Je n’ai pas grand chose à offrir, je ne suis pas dans une chasse à l’homme, mais si tu veux, on peut être amis, et se revoir, habillés ou pas.

Fuck les règles. J’ai toujours été anti-conformiste.

Sinon, eh bien c’est pas grave du tout. Je te souhaite le meilleur pour la suite’

Il ne t’a pas réécrit et tu n’attends pas de retour de sa part. Si tu n’appliquais pas religieusement le 3e accord toltèque … qui dicte de ne pas présumer de la pensée d’une autre personne … tu te dirais qu’il t’a taguée ‘fille bizarre’. Tant pis. Oui, tu as des aspérités. Tu es particulière. Et humaine.

Ton souhait le plus cher, c’est que ça lui ait juste fait du bien. D’être vu, tout simplement. Même si c’est un serial fuckboi. Ou s’il est vraiment, effectivement, juste en quête de son chemin à lui.

Ces fameux rôles, ces fameuses règles du jeu, entre hommes et femmes.

Ces idées qu’on nous rentre dans le crâne à coup de massue. ‘Un gars c’est fort pis courageux, une fille c’est sensible pis délicat.’

Peut-être que c’est toi ici qui est forte et courageuse, et lui qui est sensible et délicat.

Peut-être que nous sommes tous ceci à la fois. Plein de nuances de gris, la vie. Et de phénomènes contradictoires.

Comme par exemple, il est possible, oui, qu’une aventure d’un soir ne menant pas au mariage au royaume du hook up se termine dans la gratitude plutôt que dans l’amertume.

NB – ne me dites pas qu’il va revenir, on vit pas dans un conte de fée, voyons ! Il est possible qu’il ne se souvienne plus de mon nom, qu’il m’ait détesté. Il est possible que j’aie vécu ceci juste pour pouvoir vous inspirer à voir les choses d’un autre angle.

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