Par derrière ou l’art de ne pas faire l’amour
On m’envoie souvent des textes et de temps en temps, le courriel qui vient avec le texte en question est, à mes yeux, tout aussi pertinent que le texte. Un plus, c’est un brin coquin, ça fitte bien avec la température humide, non?
Voici donc les deux : le courriel et le texte, bonne lecture!
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Par derrière ou l’art de ne pas faire l’amour.
Je n’ai jamais compris c’est quoi la romance. L’amour.
Je ne sais plus comment faire l’amour. J’ai oublié. Sans m’en rendre compte toutefois. Sans développer une aversion, j’ai développé une froideur avec l’intimité. J’impose une distance. Je me suis perdue dans les bras de tant d’hommes. Mon corps a touché trop d’étrangers. Notre ère de consommation nous pousse à nous consommer nous même. Nous consumer.
Toujours la quête de la perfection. La quête de l’ultime bonheur. L’ultime ego.
L’ultime alter ego.
J’ai bien sûr rêvé d’amour. Je l’ai presque touché. Il était juste devant moi. Mais je l’ai fui. J’en ai rencontré des hommes dans ma quête. Une quête sans but. Qui était aléatoire aussi. N’importe qui sauf être seule.
Les hommes d’aujourd’hui, je les connais par coeur. Mes mains ont effleuré chacune des parties de leurs corps. Des corps différents. Nus. A poils. Imberbes. Virils. Minces. Gras. Suants. Suintants. Salés.
Ces hommes, qui me prennent par derrière parce que je refuse de voir leurs visages. Je refuse de voir leurs bouches s’ouvrir au moment de jouir. Je ne les embrasse pas. Je n’embrasse plus. C’est trop intime. Trop engageant. Par derrière, la position impose une distance naturelle. Pour là contre carré, il faut de l’émotion. Mais l’émotion de mes rencontres est absente. Parce que je me force à ce qu’il en soit ainsi.
La levrette est sauvage. Humiliante. Soumise. Mais terriblement efficace dans plusieurs circonstances. Je me cambre pour certains afin de me révéler davantage. Pour d’autres, je reste droite. Il m’arrive d’entamer la cadence aussi. La demandant plus insistante. Il m’arrive de fixer le mur devant moi, de regarder les aiguilles de l’horloge tournée sur elle-même.
Lorsque je ferme les yeux, il m’est permis de fantasmer. Parfois à l’amant précédent, à celui qui savait s’y prendre.
Qui savait me prendre.
Certaines fois, je rêve que je suis amoureuse. Je rêve que cette bestialité n’est que le fruit d’une passion. Qu’il me veut. Il me veut moi et personne d’autre. Je rêve que je l’aperçois. Nos coeurs se rencontrent avant même de se parler. Il me suit dans la salle de bain du restaurant. Il me tourne et soulève ma robe pour me pénétrer directement, car il devine que mon sexe l’attendait. Je le vois dans le miroir. Son reflet est beau. Je me vois aussi. Nos regards ne se quittent pas. Il me serre de son bras. Je le sens respirer dans ma nuque. Il est haletant. Nos haleines se respirent. Je le sens venir. Mes genoux faiblissent.
Mais ce rêve, c’est toujours un regard brutal. Parce que celui qui est derrière moi n’est qu’un autre. Qui n’est là que pour la cause primitive de la chose.
La fonction génitale.
De toute façon, il ne m’aime pas. Je ne les aime pas moi non plus. Les voir s’affaler sur le dos avec le condom qui pend révélant leurs bonheurs emprisonnés dans le caoutchouc devient presque une routine.
Pas de sentiment. Pas d’attache. Qu’ils partent maintenant. Qu’ils s’habillent m’embrasse sur le front afin que je referme la porte. Il ne reste que l’odeur de leurs sueurs qui parfument amèrement mes draps. Parfois, la place à côté est dessinée d’un cerne me rappelant mon invité. J’en ai horreur.
Certains de mes amants étaient mariés ou engagés. Ils déposaient leurs alliances sur la table de chevet. Je veillais à ce qu’ils la reprennent en quittant. J’ai été la maitresse de tant d’hommes.
Celle qui est bonne à fourrer, mais pas à aimer.
D’autres n’étaient pas du tout mon genre, mais je leur plaisais et je me voyais mal les refuser. Comme si je leurs faisait offrande de mon corps pour qu’ils puissent se soulagés.
Un temple pour les nuls.
Certains étaient vieux. Leurs femmes sont désormais froides. Sans vigueur et les seules chaleurs qu’elles ont sont celles qui leurs rappellent cruellement qu’elles sont sur le point d’expirer.
D’autres étaient plus jeunes. Inexpérimentés. Ils ne savent pas quoi faire de leurs membres. Leurs bras et leurs pénis. Ils sont maladroits. Ils essaient de récrés les scènes qu’ils ont vues la veille sur leurs ordinateurs, qui jusqu’à présent, est leurs seules sexualités et malheureusement leur seul modèle. Je me prête au jeu. J’assure. Je les supplie d’y aller plus fort. Je gémis un peu trop fort pour la scène. Leurs mains se serrent. Parfois leurs ongles entrent dans ma peau. Ça fait mal.
Un mal exquis.
Parfois j’y trouve mon plaisir et je me surprends à me donner une ardeur naturelle. Des fois, je fais semblant d’aimer. Pour qu’ils terminent plus vite. Qu’ils jouissent, se sentent dignes des plus grands acteurs. Que leurs ego mâles frôlent l’alpha.
Qu’ils dégagent.
J’espère que certains reviennent, mais ils ne reviennent jamais. Une fois la fille baisée, elle perd de son charme. Les hommes veulent des femmes. Pas des salopes.
J’assume cette sexualité ouverte, mais elle commence à me peser. Collectionner les amants est épuisants. Ça garde en forme d’une certaine façon, mais ça pèse sur le moral par moment. Je voudrais être la femme et la salope d’un seul homme. Un homme qui me prendra par derrière, mais qui m’invitera à me redresser pour saisir mes seins et embrasser mon cou. Un homme dont j’aurai envie de regarder dans les yeux.
Partager les orgasmes. Partager les draps.
Un homme qui sera aussi derrière moi au matin. Un homme dont la sueur qui pleut parfois sur mon visage ne me dégoutera pas. Un homme qui ne laissera pas sa femme en plan un vendredi soir pour moi. Un homme qui me prendra entière. Mon corps, mon esprit et mon cœur. Un homme qui me baisera et qui me fera l’amour à la fois. Un homme qui possèdera mon corps et dont je possèderai le cœur.
Joannie Roy